La grande démission
La Grande Démission : même pas peur !
38 millions. Rien de mieux qu’un chiffre pour comprendre l’ampleur du phénomène de la Grande Démission (The Great Resignation en anglais). 38 millions, c’est le nombre d’Américains ayant quitté leur travail en 2021 aux Etats-Unis. Et parmi ces démissionnaires, 40% n’avaient pas un autre emploi quand ils l’ont fait.
Plus surprenant, la Chine, pays connu pour ses travailleurs acharnés, connaît un mouvement similaire depuis l’été 2021. Sous le nom de “Tang Ping” (pour "À plat"), les salariés appellent les équipes managériales à ralentir et demandent un rapport au travail moins pressurisé.
Etats-Unis, Chine… mais qu’en est-il de l’Europe et de la France plus particulièrement ? Le marché s’agite aussi, toute proportion gardée. Les salariés français, selon une étude pour Microsoft de début 2022, sont ainsi 45% à voir moins de raisons de rester dans leur entreprise actuelle, et près d’un sur deux (49%) reconnait avoir moins de scrupules à postuler dans d’autres entreprises.
D’autant que leur moral reste compliqué, après quasiment deux années de pandémie : ils sont ainsi 38% à se déclarer, en octobre 2021, en situation de détresse psychologique selon le baromètre OpinionWay / Empreinte humaine (pourcentage en baisse de 5 points tout de même par rapport à mai 2021).
Les réseaux sociaux : quand la démission devient contagieuse.
On pourrait presque se croire dans la célèbre pub "Au revoir président” pour le Loto ! Avec un ton quelque peu moins joyeux… C’est en octobre 2020 que Shana Blackwell, alors salariée chez Walmart, choisit de filmer son départ en live. « J’emmerde les managers, j’emmerde cette entreprise ! Je démissionne, putain ! ». Cette Grande Démission se veut en effet très sociale, et ce, dans tous les sens du terme. Sur Tiktok, le hashtag #QuitMyJob a été vu 220 millions de fois (en février 2022). Des départs qui se banalisent et poussent des salariés à franchir le pas. « Quand on voit des gens démissionner sur les réseaux sociaux, cela provoque une prise de conscience. On se demande : est-ce que mon travail est palpitant ? » explique Stéphanie Lukasik, chercheuse en sciences de l’information et de la communication à l’université de Lorraine.
Est-ce une grève générale ?
« Une grève générale non officielle » : ce sont les mots choisis par Robert Reich, ancien ministre du travail du temps de Bill Clinton, pour qualifier le phénomène américain. Et son point de vue semble tout à fait pertinent, dans un pays où les manifestations des salariés sont plus rares qu’en France. Avec des profils plutôt en milieu de carrière, l’heure semble ainsi à la remise en question de l’autorité et une conquête de la liberté.
Par effet de masse, le rapport de force entre employeurs et employés se redessine. L’heure est donc aux négociations pour tenter de relancer la machine. Mais malgré des revalorisations de salaires, les pénuries dans certains secteurs - notamment l’hôtellerie et la restauration - demeurent. Preuve qu’il n’est pas uniquement question d’argent.
En quête de vision
Tous les témoignages traitant du sujet le disent : la quête de sens, l'anxiété et l’incapacité à évoluer sont clairement les principales motivations à cette dynamique. La pandémie a bouleversé le rapport au travail, interrogeant nos habitudes les plus ancrées. Manquer de valorisation, partir travailler sans aucune envie, laisser sa vie “pro” empiéter sur sa vie “perso”… Les salariés ne semblent plus craindre la case “sans emploi” et osent sortir d’une zone de confort trop longtemps établie.
Mais alors, comment la marque employeur peut-elle faire face ?
C’est tout le périmètre de la marque employeur qui est à mobiliser devant ce phénomène. Au-delà de recruter, cette dernière a aussi et surtout pour objectif de réussir à fidéliser, à motiver, à animer. En travaillant sur leur raison d’être, sur les relations à dessiner entre managers et managés, sur les moments de tension - et leur anticipation… les entreprises de toute taille ont une carte à jouer pour ré-insuffler de l’envie et travailler la fidélisation de leurs masses salariales. Un rapport plus équilibré donc, où chaque partie prenante peut s’apporter et se sentir écoutée et prise en compte. Et bonne nouvelle, les solutions sont - déjà - là !
Reconnaissance individuelle et collective
La mise en scène sur les réseaux sociaux est révélatrice d’une envie de se sentir soutenu par ses pairs mais aussi d’enclencher une réflexion collective sur le rapport au travail. La Grande Démission est le symptôme d’une envie de repenser les modèles collectivement.
Les 500 000 abonnés de Career Kueen (Karine Trioullier) en sont un bel exemple. « J’ai vu beaucoup de gens avoir des prises de conscience sur leur situation professionnelle grâce à TikTok, j’ai trouvé ça incroyable. Ça fait beaucoup de bien de les voir réfléchir au sens de leur travail », explique-t-elle. Et cette question de la reconnaissance est clé pour les marques employeurs. Les réseaux sociaux sont un miroir des attentes des salariés : « On cherche à apprendre aux gens à connaître leur valeur » témoigne ainsi Mamajob, influenceuse aux 400 000 abonnés.
A vous donc de monter des programmes d’accompagnement pour vos salariés, des bilans de compétences voire d’encourager les reconversions professionnelles et de créer du lien et favoriser des moments de convivialité entre vos équipes. Fait qui peut paraître anecdotique et qui pourtant a son importance : 83% des actifs français se déclarent attachés aux événements dans leur entreprise comme les pots ou les petit-déjeuners (ils sont même 36% à y être très attachés).
De l’importance de la proximité
Rien de mieux que le terrain et la proximité relationnelle pour créer un climat propice à l’engagement et l’investissement dans son entreprise et prendre le pouls des masses salariales.
En arrivant au bon moment, avec le bon levier, beaucoup de situations peuvent être désamorcées. Que ce soit par de la médiation, par une écoute active, par une reconnaissance plus ou moins formelle… Les managers doivent être impliqués dans leur rôle et prendre leur responsabilité dans la fidélisation des talents. La crise étant passée par là, les salariés attendent également une capacité d’adaptation de la part des équipes managériales : toujours selon l’étude pour Microsoft France, ils sont 47% à déplorer un manque d’évolution et de capacité à faire évoluer les méthodes de travail après 2 ans de pandémie.
Jouer de la data
Dans cet article paru dans le Harvard Business Review américain, l’auteur Ian Cook met en lumière le rôle de la data dans la gestion des ressources humaines. D’abord pour cartographier les départs et déceler s’il s’agit d’un problème au niveau d’un service, de toute l’entreprise, d’un secteur ou encore d’un pays. Mais aussi pour déterminer l’impact sur le business : grâce à des projections, la problématique de la fidélisation des ressources humaines peut rapidement être corrélée avec la performance commerciale. Les directions auront ainsi des preuves que passer plus d’énergie à fidéliser les talents qu’à recruter et former de nouveaux arrivants est rentable. Surtout lorsque les volumes de départs sont importants. Enfin, la data peut aider à comprendre les raisons des départs et à mettre en place un plan managérial adapté (rémunération, teambuilding, réorganisation, promotion…).
En conclusion, loin de voir cette vague de démissions comme un épiphénomène, il reste que les entreprises peuvent choisir d’y répondre de façon adaptée et efficace. Pour réussir à créer un lien durable avec leurs salariés et travailler durablement la relation. En bref, faire de cette crise, une chance.
Arnaud Cartier
L'intervention de notre directeur général sur BFM Business